Le Café Littéraire Plaisançois
 
 
 
La méthode Mila
Lydie SALVAYRE
Seuil collection "Fiction & Cie" - septembre 2005
 
 
 
  Rescapé des hauts fourneaux de la rentrée où l’on brûle comme l’on encense les livres sans même les avoir ouverts (voir le cas Houellebecq), celui-là est parvenu à se glisser hors des piles vomies par la table qui accueille les pyramides instables vouées à l’effondrement et à l’oubli sous le renouvellement accéléré des tas de livres - nouvelles enveloppes à bulles éventrées, nouvelles couvertures cornées... autant de victimes collatérales de la folie des éditeurs qui publient comme l’on respire.
La chance de celui-là, est d’avoir eu deux lumières qui brillaient sur la couverture. Mila, un nom qui inspire et ouvre au rêve, donc qui attire l’attention ; et un auteur qui intrigue autant qu’il peut agacer par l’usage d’un style qui pourrait être tenu pour de la prétention. Ni une ni deux, la main de votre serviteur s’en est emparée : il était temps, l’année allait s’achever sans que nous évoquions cette comète paru en septembre...
Charge à peine voilée contre une manière toute française de se cacher derrière des idéaux, Lydie Salvayre s’en prend à notre lâcheté en fustigeant René Descartes comme l’on ferait la leçon à un étudiant insolent qui oserait avancer des propos qui le dépassent sur les seules bases d’un raisonnement simpliste n’ayant aucun fondement scientifique.

Pour mener à bien cette passe d’armes, un narrateur s’interpose : célibataire, voué aux désillusions professionnelles, il s’en va en province vivre avec sa vieille mère impotente et endosse le costume du martyr moderne. Pour épancher sa rage d’incompris et de paralysé social, il s’enferme dans sa chambre et apostrophe le philosophe comme s’il était en face de lui, pour lui dire ses quatre vérités, en oubliant volontairement qu’il possède des connaissances que Descartes n’était pas en mesure d’avoir. Mais pour qui veut briser l’élan cartésien, l’absurdité de certaines démonstrations se suffit à elle-même, sans avoir besoin d’y ajouter le détail scientifique qui fait mouche... Car Descartes est moderne. Il devient donc le miroir idéal pour déclamer ce que pense le "petit peuple" de France qui n’en peut plus de l’arrogance de ceux qui nous servent des inepties comme autant de vérités imparables. De ces autres qui affirment, péremptoirement, que ceci est cela et que cela n’est pas contestable. En cela, donc, Descartes est coupable d’avoir affirmé, comme certains en ce moment, en 2005, que de donner la suprématie du bon sens sur les sens et la possibilité de faire pénétrer dans l’obscurité du cœur la froide clarté de l’abstraction c’est oublier un peu vite la mélancolie de l’homme, ses lubies, ses guimauves et ses petits grabuges intérieurs.
Descartes ne savait pas que la philosophie est la petite sœur de la psychanalyse. Lydie Salvayre, pédopsychiatre dans une institution de la banlieue parisienne quand elle n’écrit pas, nous le démontre d’une belle manière, avec panache et humour.

Pour battre Descartes, voici Mila, une héroïne digne d’un roman hispanique - clin d’œil personnel, puisque Lydie est la fille d’une réfugiée fuyant le franquisme qui arriva en France en 1939 - cartomancienne au grand cœur qui, quand elle ne dit pas ses quatre vérités aux élus municipaux, quand elle ne partage pas sa couche avec le premier magistrat, s’en va intriguer contre la vox populi pour apporter le bon sens près de chez nous qui s’en est allé Dieu sait où...
Ainsi, des châteaux en Espagne que l’on se construit au fond de son cœur à l’amour qui possède, aussi, ses raisons que la raison... et cætera, on parviendra à démêler l’intrigue et à se méprendre sur les raisons qui nous déterminent... Une belle leçon de vie pour l’avenir.

(François Xavier - lelitteraire.com)