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Trente-neuf ans, l'écrivain togolais
symbolise cette jeune génération d'auteurs africains qui ont puisé dans l'expérience de leurs
aînés une nouvelle manière d'intervenir dans la société mondialisée. " Les anciens sont encore
trop dans le rêve d'une littérature efficace. Nous, on est plus dans le questionnement. Nous
sommes une génération qui a subi trente ans de pensée univoque. On n'a pas envie d'écrire des
slogans pour répondre à d'autres slogans. Si j'écris " vive la liberté ! " je suis obligé de
constater que c'est une réponse à la même formule d'en face. La question politique ne peut être
abordée que par un détour, pas comme un terrain de combat idéologique. Les outils conceptuels de
la négritude posent la question de l'identité, je ne peux pas les utiliser aujourd'hui. Mon
défi est de relever les défis que nos aînés ont relevés, avec les outils de notre temps. Léopold
Senghor a dit qu'il écrivait pour son peuple. Mais ce qui a fait la grandeur de Senghor, c'est
justement qu'il a débordé ce cadre idéologique." Propos tenus par Kossi Efoui lors du festival
Etonnants Voyageurs à Bamako, où les anciens furent un peu secoués par les plus jeunes.
Le regard des écrivains africains change, il s'ouvre au monde, il brise les frontières. |
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Kossi Efoui dresse une fiction face à la fiction qu'est l'Afrique.
Une comédie grinçante contre les faux semblants irriguée par une langue singulièrement
expressive. Dramaturge, Kossi Efoui, né en 1962 au Togo, avait fait en 1998 une
entrée remarquée du côté des romanciers avec La Polka (Seuil). Premier roman
prometteur et inventif qui n'était finalement que le bon augure de celui qui vient de
paraître. Avec La Fabrique de cérémonies, Kossi Efoui libère plus encore sa
langue pour nous parler d'Edgar Fall, Togolais brinquebalé par l'histoire depuis
l'U.R.S.S. où il commença ses études, jusqu'à Paris où il traduit des romans-photos
pornographiques. Contacté par le directeur d'un magazine de voyages trash (visitez
les quartiers les plus malfamés des pires cités du globe), il retourne dans son pays
d'origine en compagnie d'Urbain Mango ancien étudiant comme lui en U.R.S.S.. Si
l'Union soviétique a changé son cours historique et son appellation, que dire de
l'Afrique occidentale dont les pays ne portent même plus de noms, à force d'en changer
sans cesse? Retourner là-bas, c'est aussi devenir l'étranger sur ses terres natales,
c'est renouer avec des bribes de l'histoire familiale où la figure du père se dessine
avec les pointillés de l'absence. Kossi Efoui mêle dans un capharnaüm
cauchemardesque le passé et le présent, dans des arrêts sur image surprenants, plans
fixes qu'une caméra creuse littéralement. Le voyage se fait au rythme d'incessants
ressassements, de perpétuels allers-retours entre hier et aujourd'hui. La phrase
paraît alors plus matérielle que le pays traversé où les enfants jouent avec de vraies
armes, où des "hommes-panthères" les tuent en leur mettant le feu, où la mer a
envahi la capitale, où la télévision mondialiste propose des reality-shows à base de
crimes contre l'humanité. Kossi Efoui a lu Antonio Lobo Antunes auquel il fait
référence et Claude Simon aussi : le roman se fait chant polyphonique, alternant
accords mineurs et majeurs. Une scène, à ce propos, pourrait être donnée à lire dans
toutes les fabriques de littérature : un déjeuner dans une brasserie parisienne durant
lequel Urbain Mango explique le projet de voyage à Edgar Fall nous fait entendre les
discussions alentour. Celle de trois vieilles dames "ou camarades de lit d'hôpital
en sortie hebdomadaire", celle d'un "homme disant quoi, quoi, quoi" à une
femme qui répond "Caramba, reste assis, Caramba, je te parle" mais ne parvient
pas à maîtriser son chien; celle d'un ex-secrétaire d'État qui "se souhaite de
vivre encore un peu". Plus loin, nous sommes dans l'ex-Togo qui pourrait être
aussi bien le Rwanda; Edgar Fall se souvient de l'hymne patriotique qu'il fallait
apprendre, enfant, en marchant au pas : "Bénissez le Togo". Mais l'Histoire
est folle et fait valser le nom des pays si bien que "Bénissez! et on
imaginait soudain la chanson interrompue, les pas suspendus, les longues files
d'élèves stupéfaits en colonnes par trois, le pied levé resté dans les airs, la
bouche restée ouverte sur la crampe de la première syllabe de noms qui s'effaçaient
par le bout de la mèche Bénissez le To, Bénissez la Haut, Bénissez le Da,
Bénissez le Ni, (...) les élèves attendant l'annonce d'un nouveau nom de pays,
attendant ce signal pour se remettre à écraser rythmiquement les semelles."
Inventif et jubilatoire, le roman fouille la question de l'identité comme on
mettrait au jour un charnier : rien de ce qui porte un nom n'est vraiment tangible.
L'identité des peuples, celle des sexes (le voisin parisien d'Edgar est un travesti),
la paternité réelle ou supposée, les forces secrètes, la langue même qui devrait
servir à traduire Pouchkine mais qui ne traduit que la pornographie : tout glisse à
travers la grille du sens. Le monde se dérobe. Et le carnavalesque n'offre plus guère
que des visages grimaçants.
(Le Matricule des Anges n° 35) |
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