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Elisabeth Badinter est notamment l'auteur
d'Emilie, Emilie : l'ambition féminine au XVIIIe siècle, des Remontrances de
Malhesherbes, de la série des Passions intellectuelles. Avec Robert Badinter,
elle a écrit Condorcet, Un intellectuel en politique. Sur les relations
hommes/femmes, elle a publié plusieurs ouvrages classiques, L’Amour en plus,
L’un est l’autre et XY, De l’identité masculine. |
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« Les stéréotypes
d'antan, pudiquement appelés "nos repères", nous enfermaient mais nous rassuraient.
Aujourd'hui, leur éclatement en trouble plus d'un. Bien des hommes y voient la raison de
la chute de leur empire et le font payer aux femmes. Nombre d'entre elles sont tentées de
répliquer par l'instauration d'un nouvel ordre moral qui suppose le rétablissemnt des
frontières. C'est le piège où ne pas tomber sous peine d'y perdre notre liberté, de
freiner la marche vers l'égalité et de renouer avec le séparatisme.
Cette tentation
est celle du discours dominant qui se fait entendre depuis dix ou quinze ans. Contrairement
à ses espérances, il est peu probable qu'il fasse progresser la condition des femmes. Il
est même à craindre que leurs relations avec les hommes se détèriorent. C'est ce qu'on
appelle faire fausse route. » E. B. |
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Quatrième de couverture |
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Un pas en avant,
deux pas en arrière. Constat peu glorieux ? Fausse route d'Élisabeth Badinter
dresse un état des lieux des luttes féministes. Rappelant que la différence des sexes
est un fait qui ne doit pas prédestiner aux rôles et aux fonctions, Élisabeth Badinter
pointe, dénonce parfois, les contradictions d’un féminisme "obsédé par la
problématique identitaire". Et l'auteur de poser la question : quels sont les réels
progrès réalisés depuis quinze ans ? À étudier de près les phénomènes sociaux et
comportementaux durant les deux dernières décennies, aussi bien dans le monde
oriental que dans le monde occidental, on prend conscience de la pérennité d'une
guerre des sexes, doublée d'une renaissance des stéréotypes sexuels. Au-delà de ce
constat, Élisabeth Badinter décrypte la tendance insidieuse d'un nouveau féminisme
qui a retrouvé les accents moralisateurs du judéo-christianisme, voire la naissance
d'une "bien-pensance féminine" ou - pire - une dérive d’un féminisme guerrier. Qu'on
ne se trompe pas : la guerre des sexes a toujours lieu. Élisabeth Badinter rappelle
que "l'indifférenciation des sexes n'est pas celle des identités. C'est au contraire
la condition de leur multiplicité et de notre liberté". |
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Pour les femmes,
quels sont les progrès réels accomplis depuis quinze ans ? Le discours féministe qui
se fait le plus entendre aujourd'hui reflète-t-il la préoccupation de la majorité
d'entre elles ? Quels paradigmes féminin et masculin cherche-t-il à promouvoir ? Quel
modèle de sexualité veut-il imposer ?
« À en croire certains discours, il ne s'agit plus
seulement de condamner les obsédés, les pervers. Le mal est bien plus profond et touche
la moitié de l'humanité. C'est le principe même de virilité qui est mis en accusation.
D'un côté Elle, impuissante et opprimée ; de l'autre Lui, violent, dominateur,
exploiteur. Les voilà l'un et l'autre figés dans leur opposition. On prône ainsi un
encadrement de plus en plus strict de la sexualité masculine qui atteint par ricochet
celle des femmes. L'élargissement progressif de la notion de crime sexuel et la
répression mise en place depuis quelques années dessine la carte d'un sexe légal, moral
et sacralisé en opposition radicale avec la liberté sexuelle dont usent les nouvelles
générations. En luttant aujourd'hui pour l'élargissement de la répression du crime
sexuel à la prostitution et à la pornographie, le féminisme bien pensant n'hésite pas à
faire alliance avec l'ordre moral le plus traditionnel. L'enjeu de la bataille est
fondamental : il ne s'agit rien moins que de la redéfinition des rapports entre hommes
et femmes, et de leurs libertés réciproques. Lutter contre la domination et les
violences masculines est une nécessité ; mais vouloir aligner le masculin sur la
féminité traditionnelle est une erreur, sinon une faute. L'Un est l'Autre, à condition
que persistent l'Un et l'Autre. Parallèlement, la remise à l'honneur de la différence
biologique entre hommes et femmes est-elle propice à l'émancipation de celles-ci ? À
faire du biologique le critère distinctif des femmes, on justifie par avance la
spécialisation des rôles que l'on s'est efforcée de combattre depuis plus de trente
ans. On redonne ainsi vigueur aux vieux stéréotypes. Il est à craindre que les hommes
aient tout à y gagner et les femmes beaucoup à y perdre. » E. B.
D'amalgames
en régressions, un bilan sans concession du discours féministe. |
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Elisabeth
Badinter affirme que le féminisme fait fausse route. Elle lui reproche d'avoir renoncé à
l'idée d'égalité en reléguant la femme au rang de victime. Réactions :
Maya Surdut. Ce livre est indigne de qui se prétend une intellectuelle. Comment
peut-elle écrire que les féministes sont toutes différentialistes, toutes victimisantes ?
Qu'elles acceptent la place centrale de la maternité ? Que sait-elle des luttes contre
le congé parental, les exonérations sur le temps partiel ? Badinter est vraiment une
grande bourgeoise et le monde ne l'intéresse pas. Elle tombe à point nommé pour alimenter
les régressions actuelles : contre celles qui se battent, elle déverse des pelletés
d'ordures. C'est hallucinant! Comme Marcella Yacoub et Hervé Le Bras, elle s'en prend
aux études sur les violences faites aux femmes car elle ignore qu'il existe un rapport
structurel de domination homme/femme. Pour elle, il n'y a pas de structure, il n'y a que
des individus libres. C'est pour cela qu'elle jouit d'un tel engouement médiatique.
Maya Surdut est animatrice du Collectif droit des femmes.
Muriel Bordogna. Je suis très ennuyée par son raisonnement sur la «victimisation»,
car tous ses arguments n'ont pas d'ancrage dans une réalité politique et sociale : il
faut attendre la page 182 pour lire pour la première fois «femmes de banlieues» et
«femmes de classes supérieures». Je suis un peu choquée par la phrase «les femmes
parlent haut et fort, les hommes murmurent». Où ça ? En entreprise, dans les partis
politiques, les associations, les cités ? Sa critique de la parité me semble dénuée
de prises en compte des réalités politiques et sociales. Pour qui a-t-elle écrit ce
livre ? Pour elle, (je ne le réprouve pas) pour avoir une conversation entre copines
des beaux quartiers à l'heure du thé ? Tout est loin de mon quotidien et des luttes
actuelles. Je n'ai pas trouvé de piste de réflexion, donc je trouve ce livre un peu
cher. Muriel Bordogna est présidente de l'association Le café féministe.
cafefeministe@free.fr
Clémentine Autain. Fausse route est un brûlot lancé contre les féministes
supposées constituer un groupe hyper-puissant qui imposerait sa loi partout! On rêve!
Badinter n’est pas la première à dire qu’il existe des bénéfices secondaires pour
les femmes au sein même du système de domination ou à parler de l’identité masculine.
Mais ces questions ne peuvent se traiter à la sulfateuse. Elisabeth Badinter
hiérarchise les violences faites aux femmes. Or, je persiste à penser qu’il y a un
lien entre toutes ces formes de violences :une pub ou un livre sexiste, la politique
familiale ou la violence physique...Tout renchérit tout : c’est pour cela que nous
pouvons parler de système de domination. Ses envolées sur la bourgeoise du 7e
arrondissement qui serait moins opprimée que la caissière de Bondy nous font revenir
en arrière. On sait que lutte des classes et émancipation ne sont pas solubles l’une
dans l’autre. Les viols existaient avant les banlieues. Il n’est pas besoin de naître
à Sarcelles pour être macho. L’une de ses critiques porte sur un féminisme qui aurait
trop victimisé les femmes. Je peux partager cette idée. Je crois que le discours des
féministes sur le viol renvoie aux femmes violées l’image d’un drame indélébile dont
elles ne pourront se sortir. Il serait préférable de dire aux femmes qu’on peut être
active face au viol et qu’une femme violée peut se reconstruire sans pour autant en
diminuer la gravité... Mais ce livre est tellement écrit contre les féministes qu’il
bloque tout débat. Clémentine Autain est adjointe au maire de Paris, et
cofondatrice de l'association Mix-Cité
Eric Fassin. Fausse route s'avère d’un antiféminisme d'autant plus efficace qu'il
se réclame du féminisme. Elisabeth Badinter joue sur les divisions qui traversent le
féminisme, qui partagent les féminismes hier avec la parité, aujourd’hui autour de la
prostitution, et toujours avec le foulard. Son étendard, c’est l'universalisme libéral,
au centre de la tradition républicaine. On peut toutefois s'interroger sur la cohérence
de cette posture théorique, en particulier sur deux points essentiels : la liberté du
consentement et la différence des sexes. Premier point : c'est au nom de la liberté
que l'auteur rejette le féminisme « victimiste » : pour la prostitution, dans sa
critique de l'abolitionnisme, et pour les violences sexuelles, dans sa polémique contre
l'Enveff : pour être libre, il faudrait renoncer à penser la domination. Toutefois, si
l'individu libre, qu'Elisabeth Badinter pose au principe de sa philosophie dans le droit
fil des Lumières, lui permet d'envisager la prostituée comme une femme émancipée, il
n'en va pas de même pour la jeune fille qui porte le foulard islamique : a priori,
l'aliénation est posée pour celle-ci, écartée pour celle-là. Certaines seraient plus
que d'autres des individus... Le contrat sexuel aurait toute sa valeur dans le cas
de la prostitution, mais pas dans l'échange amoureux ordinaire ; au contraire, l'auteur
récuse alors la transparence du consentement, qui lui paraît incompatible avec
l'érotisme. Pour ne pas renoncer aux vertus érotiques de la pudeur, elle lui préfère le
charme ambigu d'un désir qui n'a pas besoin, pour consentir, de dire « oui ».
L'essayiste espère ainsi protéger notre République d'une politisation des sexes, et du
sexe, « à l'américaine ». La liberté sexuelle, tout autant que l'égalité entre les
sexes, est supposée - comme si elle était toujours donnée, et comme s’il n'était jamais
besoin de la négocier. L'auteur n'invoque donc la liberté qu'à sa convenance, pour
mieux s'opposer à tout discours sur la domination : drôle de libéralisme, qui récuse la
contractualisation des moeurs. La deuxième contradiction porte sur la différence des
sexes. D’un côté, c’est contre le différentialisme qu'Elisabeth Badinter définit sa
vision de la République – qu'il s'agisse de parité ou de foulard. D'un autre côté,
pourtant, elle s'indigne de ces féministes qui voudraient « apprendre au petit garçon à
faire pipi assis comme une fille », ou qui prétendent « imposer aux petites filles et
aux jeunes garçons les mêmes jouets ». Bref, « ce féminisme qui ne dédaigne pas la
différence prône la ressemblance des sexes là où justement elle n'existe pas ». Voilà
qui serait « absurde et dangereux » : « L'apprentissage de l'identité sexuelle est
vital et, n'en déplaise à certains, se fait par oppositions, caricatures et
stéréotypes. » On retrouve ici les échos d'inquiétudes révélées lors du débat sur le
Pacs : la différence des sexes serait « la condition des retrouvailles ultérieures avec
l'autre sexe ». C'est en vue de sauver la « connivence » qui a nom hétérosexualité
qu'il faudrait préserver la différence des sexes au principe de l'identité sexuelle.
Il s'agit bien, aussi, d'un universalisme à temps partiel : « La ressemblance des sexes
est au bout du chemin et certainement pas au début. » L'écho important rencontré par
cet essai ne tient donc pas à sa cohérence théorique. Il doit surtout son succès
médiatique au moment : c'est quand la droite est au pouvoir qu'Elisabeth Badinter s'en
prend au féminisme. Après le regain féministe de la fin des années 1990, la France
issue du 21 avril est moins favorable au progrès de l'égalité entre les sexes et de la
liberté sexuelle : la gauche craint d'avoir négligé le « peuple » au bénéfice des
femmes ou des gays, ou d'avoir privilégié genre et sexualité au détriment de la « classe
» ; la droite, elle, n'est pas suspecte de complaisance en la matière... Fausse route
participe donc d'un climat - on pourrait parler aujourd’hui en France, comme Susan
Faludi aux Etats-Unis à l'issue des années 1980, d'un backlash, c’est-à-dire d'un
« retour de bâton ». Eric Fassin est sociologue et enseigne à l'Ecole normale
supérieure. En 1999, il publiait, avec Daniel Borillo, Au delà du Pacs : l'expertise
familiale à l'épreuve de l'homosexualité, PUF.
Caroline Fourest. Ce livre ne serait pas totalement inintéressant s'il n'était
pas aussi confus. A aucun moment, il ne dit clairement à quel féminisme il s'adresse.
S'il s'agit de critiquer un féminisme victimisant, essentialiste (1) et puritain et de
pourfendre une certaine gauche dont la lecture du féminisme serait minimaliste, non
radicale, alors nous sommes d'accord. Mais s'il s'agit de laisser croire que lutter
contre les violences conjugales, le harcèlement sexuel et pour la redéfinition des
sexes est faire preuve d'un abominable féminisme américain, qui risque de traumatiser
les hommes à force de vouloir redéfinir la sexualité, je ne suis plus certaine de
cerner l'objectif politique… Si ce n'est de fournir une caution inespérée aux
anti-féministes. Malheureusement, je crains que cet aspect explique le succès actuel
du livre. Caroline Fourest, rédactrice en chef de la revue Prochoix.
Josette Rome-Chastanet. ll n'est pas étonnant que ce livre soit surmédiatisé au
moment où il s'agit de démolir toutes les résistances. Pourtant, ce pamphlet nous
oblige à nous interroger sur le féminisme actuel. Sans forcément partager ses analyses,
surtout quand elle peine à considérer la domination masculine comme un système qui peut
être déconstruit au bénéfice des hommes et des femmes, je crois que le mouvement
féministe a besoin de reprendre et d'approfondir ses réflexions sur la sexualité,
les rapports hommes-femmes, le travail invisible des femmes. Badinter affleure ces
questions, elle ne les résout pas... Josette Rome-Chastanet, réseau féministe
PCF. |
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regards.fr |
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